Ronelda Kamfer – vertaal deur Pierre-Marie Finkelstein
Ma place
(Waar ek staan)
Me voici assise à table
avec les ennemis de mes ancêtres.
Je hoche la tête et salue avec circonspection
mais
quelque part, tout au fond de moi
je sais où est ma place.
Mon cœur et ma tête sont ouverts
et, en personnes bien élevées,
nous rions et mangeons ensemble
mais
quelque part, tout au fond de moi
je sais où est ma place.
*
le maître de la ferme
(Die baas van die plaas)
Pour maman
j’ai une grand-mère
qui ne parle qu’une seule langue
elle me raconte les histoires de monsieur Willem
et du docteur Metzler
combien monsieur Willem était bon pour elle
et comment il la laissait toujours choisir la première
les vieux vêtements qu’il lui donnait
elle me raconte les kilomètres à pied pour aller en ville
et comment monsieur Willem l’avait fait monter devant avec lui
dans la camionnette-plateau
monsieur Willem disait que ce n’était pas la peine que ses enfants
aillent jusqu’au bac
puisque de toute façon ils travailleraient à la ferme
et aideraient à élever les enfants
le docteur Metzler disait
que les enfants de ma grand-mère le mettaient mal à l’aise
qu’ils avaient dans les yeux une immoralité
il disait que ma grand-mère pouvait s’estimer heureuse
que le dernier soit mort-né
celui-là
on devait l’appeler Judas
*
La femme au foyer
(die huisvrou)
Tantie Doris était l’archétype de la femme au foyer
le matin elle emmenait ses enfants à l’école
vêtue d’une salopette rose, des bigoudis verts sur la tête
elle passait la journée à faire le ménage, la lessive et la cuisine
elle était femme au foyer
un jour de juin où il pleuvait des cordes
Tantie Doris étendait son linge, lavait ses vitres
et arrosait ses plantes sous la véranda
lorsque soudain, une voiture de police et deux corbillards de l’hôpital de Tygerberg[1]
se sont arrêtés devant chez elle
ils sont ressortis en poussant devant eux sur des brancards trois maccabées dans des sacs plastique
un grand et deux petits
Tantie Doris, pour la première fois depuis des années
portait une robe à fleurs et ses cheveux défaits
retombaient en longues boucles sur ses épaules
on lui passa les menottes, elle grimpa à l’arrière du panier à salade
et lança aux badauds : Allez-y, vous pouvez fouiner partout,
chez moi tout est propre.
*
La foire aux pères
(Pick n Pa)
Des pères, j’en connais des tas
des qui bossent pas
des qui passent leur temps dans la cour
des qui sont en taule à Pollsmoor[2]
des qui pioncent dans les caniveaux
des qui dorment le jour et qui travaillent la nuit
Des pères, j’en connais des tas
des qui détestent leurs enfants
des qui aiment un peu trop leurs filles
des qui battent leur femme
des qui sont malades quand ils n’ont pas de vin
des qui n’ouvrent presque jamais la bouche
Des pères, j’en connais des tas
sauf un : celui que
je n’ai jamais vu
*
poussière
(stof)
le bureau des plaintes sentait la poussière
la voiture de la fille qui m’avait amenée aussi –
la poussière
le bureau du chef
le travailleur social aux mains moites
le presbytère
l’infirmerie de la maison de correction
tout sentait la poussière
mais la poussière du bureau des plaintes était différente
ça sentait comme de la poussière qui aurait fait des petits
et tout le monde en crevait
le policier qui prenait les dépositions
ne m’a pas regardée dans les yeux
il a dit que je pouvais lui demander tout ce que je voulais
alors je lui ai demandé ce qu’il pensait de la poussière
la poussière ?
m’a-t-il dit
oui, la poussière, ai-je répondu en attrapant son regard
alors il m’a regardée bien droit dans les yeux et m’a dit
que la poussière, il n’y pensait pas vraiment
alors je lui ai dit que moi, la poussière, j’y pensais tout le temps
que la poussière était partout que la poussière connaissait les secrets les mieux gardés
que certains jours je cherchais la poussière, que je savais que la poussière avait une odeur
que la poussière c’était la mort et que j’aurais voulu être poussière
je lui ai dit que la poussière ne peut redevenir poussière
contrairement à l’être humain
a-t-il ajouté très vite
oui, c’est bien la preuve que l’être humain ne vaut pas grand-chose
lui qui jamais ne pense à la poussière
*
Boire
(Drink)
Certains jours je bois trop
certains autres trop peu
mais
jamais je ne bois juste ce qu’il faut
quand je suis saoule je parle trop
quand je suis sobre j’écris trop
jamais je ne parle ni n’écris juste ce qu’il faut
Je sais bien que si j’arrivais à faire correctement ne serait-ce qu’une chose, une seule
je ne me sentirais pas aussi nulle à cause du reste
Gentilles filles
*
(goeie meisies)
les gentilles filles ne sont pas dans des bandes
elles ne tombent pas enceintes à treize ans
elles ne se font pas faire des tatouages de gangs
elles ne fument pas d’herbe
elles ne se défoncent pas au crystal meth
elles ne se font pas tringler par les profs
et les chauffeurs de taxi
elles ne travaillent pas chez Shoprite[5]
elles ne sont pas femmes de ménage
les gentilles filles n’habitent pas les townships des Cape Flats
*
Attention à la dépression
(Pasop vir depressie)
Si on t’a agressée
violée, si on t’a piqué ta bagnole, si on t’a kidnappée, séquestrée
surtout
va voir un psychiatre
tout ça peut causer des dépressions
ce sont de bonnes raisons de déprimer
Des parents de merde
des profs de merde
des églises de merde
de la bouffe de merde
des gens de merde
des fringues de merde
des règles de merde
des lois de merde
de la musique de merde
un temps de merde
des horaires de merde
des poètes de merde
et une pensée de merde
ce ne sont pas des causes de dépression
Ca fait partie de la vie