Marius Crous – vertaal deur / traduit par Pierre-Marie Finkelstein
impression
les barbares du cru passent la journée accroupis
devant les murs blancs de soleil
ils apprennent – outre le catéchisme
l’alphabet
les bases du calcul
l’hygiène intime
l’art de boutonner un chemisier
de repasser un pli de pantalon
de nouer des lacets de chaussures –
toutes choses pour eux infiniment étranges
et aussi à tendre la main
chaque fois que passe un étranger
la nuit les gens dorment les yeux ouverts
pour se protéger des regards cupides
qui transpercent leurs fenêtres
Titre original: indruk ; extrait de Brief uit die kolonies,
Protea Boekhuis, Pretoria 2003
© Pierre-Marie Finkelstein, avril 2011
prions ensemble
prions ensemble dans une langue
qui porte en elle le péché
des enfants torturés des femmes mutilées
des hommes mis à mort des disciples endoctrinés
une langue qui jamais n’a voulu amadouer
jamais du haut des chaires dans les amphithéâtres
les salles de classe les journaux
n’a voulu crier contre l’injustice
que cette langue soit purifiée
qu’elle devienne une langue de grâce
qu’elle devienne pure et nue
qu’elle parle de l’injustice d’une époque de crânes
qu’elle se libère telle une victime
attachée de force à une chaise
quelque part dans un immeuble de bureaux sombre
qu’après toutes ces années dieu
la comprenne à nouveau
Titre original: kom ons bid saam ; extrait de Brief uit die kolonies,
Protea Boekhuis, Pretoria 2003
© Pierre-Marie Finkelstein, avril 2011
lettres des colonies
I
messieurs de la métropole
permettez-moi – moi qui jadis fus votre messager –
quelques mots comme vous le voyez je manie la plume avec aisance
ma langue s’est considérablement améliorée
j’écris même sur les lignes
(la prochaine fois je vous le taperai à la machine)
messieurs
vous qui connaissez les parties de chasse
les domaines les antiques rituels pour chevaliers sans épée
dégustez des choux de bruxelles du saindoux des cuisses de grenouilles
rajoutez de la crème fouettée sur le gâteau à la crème
vous qui avez défriché le paysage à la machette
tracé sur une carte vos frontières
coupé une tribu en deux une rivière en trois offert une montagne
à l’empereur pour son anniversaire
mis à nu la forêt vierge construit des routes
qui mènent à vos palais situés au beau milieu d’un territoire tribal
des ports où vous avez chargé notre or emporté nos diamants
débarqué vos soldats afin qu’ils poursuivent leurs pillages plus au nord
nous avons eu c’est vrai une clinique ou deux – où nous avons le droit d’entrer par la porte de service –
des écoles pour apprendre votre Langue vos Beaux Atours vos Belles Manières
un magasin ou deux remplis d’étranges marchandises
nous avons dû cacher nos jeunes filles
comme gouvernantes domestiques bonnes d’enfants
une colonie à posséder entre leurs cuisses
nos fils chair à canon d’une guerre dont nous n’avions que faire
dans vos clubs et vos cafés
vous vous gaussez de nos lacunes
de notre ignorance des colonnes de chiffres des calculs des doubles comptes
de notre insolence idiote du viol de votre Langue
des routes des ponts qui s’effondrent des immeubles qui s’effritent
des mouches des ordures du délabrement
messieurs de la métropole
puissent vos noms vivre à jamais
souvenez-vous toujours –
sur les grandes places du monde
où coulent les fleuves sur les territoires des tribus, où flamboient les montagnes,
où des sorciers vêtus de parures conjurent les maladies,
où les femmes retournent la terre à mains nues pilent le maïs portent l’eau
où la lune indique le chemin qui mène au grand sommeil,
où les insectes disent la volonté des dieux
– aucun dieu marin à trois têtes ne nous effraie
aucun ne nous menace du puits de soufre dans les nuages –
tel un virus inconnu
vous vous êtes insinués dans les corps par tous les orifices
vous avez muté et tout contaminé
puis faisant un pas en arrière vous avez regardé les blessures enfler
sur le corps usé et lorsque la puanteur est devenue trop forte
vous vous êtes réfugiés
dans vos clubs aseptisés vous tâtez avec des gants
vos visages bouffis
vous secouez la tête
rassemblez l’argenterie (le bronze aussi fera l’affaire)
offrez des sacrifices expiatoires à vos êtres suprêmes imaginaires
non ne nous demandez pas pardon nous pardonnons nous pardonnons
nous tendons les deux mains pour recevoir l’argent
II
c’est ainsi que sous les tropiques
enroulé dans une couverture chaude et humide
je vous écris ce matin
neige-t-il déjà sur les montagnes
la cheminée les verres de porto
ici c’est à peine si l’on sait quand le jour devient nuit
si l’été un jour fera place à l’hiver
je fais l’inventaire: ni papier ni plumes.
pas d’éventails en état de marche. toits qui fuient.
immeubles délabrés. routes recouvertes par la végétation.
nous respirons tout à la fois les maladies et l’oxygène.
paniers à provisions remplis de serpents. nous secouons au matin les scorpions de nos chaussures.
vue sur un jardin planté de croix de bois faites à la main. tas de pierres.
rivière où grouille la bilharziose.
dans cet homme terrassé par la fièvre
ce crocodile qui retourne un être humain et lui arrache les entrailles
je reconnais un sens de l’humour cosmique
je vois dieu grimacer sur le visage d’une charogne
les fourmis et le caillot de sang séché sur son museau
les vautours qui s’envolent emportant des lambeaux de tripes de poumons
l’herbe sauvage qui pousse entre ses griffes
III
madame mère des nations
vos soldats ont apporté
les maladies
atlas tient toujours le globe terrestre
au–dessus de sa tête sur le toit
de l’ancien bordel
vos soldats le soir
guettaient les femmes dans les cours d’eau
attiraient les petites filles
et se vautraient comme des lézards à demi nus
dans un nuage de fumée et d’alcool
vos soldats disaient à nos fils
qu’il était bon qu’un homme se couche
devant un homme comme une femme
vos soldats ont laissé derrière eux la couleur morte de leur yeux
dans les banlieues des ghettos noirs
voyez tous ces enfants aux cheveux jaunes qui jouent près de la rivière
madame nous vous voyons sourire sur nos timbres
votre visage orne les murs de nos bureaux
vous êtes paraît-il mère de quatre enfants
venez consolez-nous
des coups des soldats
des taches violacées sur nos visages
de nos jeunes filles qui n’ont plus que la peau sur les os
de l’odeur de la diarrhée qui chasse le parfum de la nourriture
les traces des bottes que vos soldats en partant
ont laissées sur le sable humide
sont toujours là
pleurez pour nous madame
ici il n’y a plus de larmes
Titre original: briewe van die kolonies ; extrait de Brief uit die kolonies,
Protea Boekhuis, Pretoria 2003
© Pierre-Marie Finkelstein, avril 2011
(Hierdie vertalings het ook in 2011 die Franse tydskrif Confluences poétiques (Nr. 4, April 2011) verskyn.- Red.)